Jardins Renaissance du Château de Bournazel - Aveyron
Nous avions eu la chance en 2016 de visiter les jardins du Château de Bournazel en Aveyron en compagnie de Xavier Berrou, maître d'oeuvre de la réalisation de ce jardin Renaissance, puis de Thierry Verdier, architecte ayant supervisé la restauration du château et des jardins, peu de temps après leur achèvement.
Revoir ces jardins trois ans après, plus foisonnants, plus aboutis fût un réel plaisir !
Vous pourrez ainsi, pour des scènes identiques mesurer son évolution.
Bournazel est l'une des plus belles demeures érigée pendant la Renaissance française. De 1542 à 1561, Charlotte Mancip transforma un château féodal en véritable domaine de raffinement et de culture. Baignée de poésie et de lettres classiques pendant que son époux guerroyait en Italie aux côtés de François Ier, Charlotte fait tout d'abord orner de décors subtils la principale façade de type antique.
Puis la seconde aile se voit ornée d'une loggia probablement inspirée de la Renaissance italienne et symbole d'un nouvel art de vivre.
On peut supposer que Charlotte imagina ensuite son jardin nourrie de roman de chevalerie, de rencontres courtisanes et de galanterie... Poser son château de campagne au coeur d'un écrin végétal raffiné était signe de ce luxe découvert lors des campagnes d'Italie.
Le jardin se compose d'un verger à l'Est et d'un jardin clos "Hortus Conclusus" délimité par un grand mur de pierre et composé de parterres, d'une grande pièce d'eau, d'un labyrinthe et d'un jardin de chambres.
Seuls vestiges restant de ce jardin Renaissance, les murs d'enceinte et le tracé d'un vaste bassin. Les codes en relation avec la création des jardins à cette époque ont permis de dessiner des plans. De même des recherches approfondies sur les lectures et la vie de Charlotte Mancip ont permis à Thierry Verdier et Xavier Berrou de mieux imaginer son jardin.
Thierry Verdié nous explique que vraisemblablement l'architecte qui avait élevé le château s'était vu confier le tracé du jardin. En s'appuyant sur des lois d'harmonies mathématiques à partir d'un module simple, il harmonisait tous les éléments d'architecture, jardin compris.
Une multitude de mesures, de transformations de mètres en pieds, leur a permis de découvrir ce module et de redessiner le jardin dans les proportions de la façade aux galeries superposées.
C'est ainsi que seules quelques fouilles bien précises ont été nécessaires pour confirmer l'emplacement des éléments principaux comme par exemple la fontaine centrale, élément constant des jardins de cette époque.
Chacun des neuf parterres correspond à une symbolique coutumière de la Renaissance. Ici Charlotte et Jean de Buisson délivrent le message de "l'éducation du prince" et de "l'énigme de la vie" et en même temps nous révèlent un peu plus leur personnalité.
La fontaine centrale évoque "la source de vie", la naissance. Le rocher en son centre la collusion de la mythologie et de la vie agreste. Les huit carrés qui l'entourent se nomment le Dauphin, les Pléiades, la Terre, le Soleil, la Pyramide, l'Ether, la Borée et l'Atropos.
Le Dauphin, en grec delphus signifie l'utérus, la naissance.
Les Pléiades sont l'adolescence de l'humanité.
La Terre, la cosmologie ptoléméenne plaçait la terre au centre de l'univers.
Le Soleil raconte l'évolution à cette époque des grandes théories cosmiques qui placent alors le soleil au centre de l'univers (Copernic 1543). On honore ici les savoirs nécessaires dans l'éducation du Prince.
La Pyramide est, à la Renaissance, le signe qui permet à l'homme de passer de l'ignorance à la connaissance.
La Borée et L'Ether, placés sous le signe de l'air. L'Ether incarne le vide et permet le mouvement circulaire des astres.
Atropos, très populaire à la Renaissance représente l'image du destin.
La lecture croisée de ces parterres emmène chacun dans l'esprit des rébus savants de la Renaissance française.
Parterre aux arabesques colorées de prairie fleurie (la luzerne a pris le pas sur les autres plantes en fin de saison) - 2016
L'architecte Thierry Verdier, également professeur d'histoire à l'université Paul Valéry - Montpellier III nous confie être tombé amoureux de Charlotte Mancip, de sa culture et de son esprit. Il lui dédie un ouvrage que nous attendons avec impatience !
Derrière la fabrique de jardin, le labyrinthe construit selon l'unique modèle de la Renaissance ne possède pas d'issue mais conduit à l'arbre emblématique de la famille de Buisson de Bournazel : l'aubépine sauvage.
A cette époque, les buis n'étaient pas taillés au cordeau comme ils le seront plus tard dans les jardins à la française - 2016
Toute la symbolique qui se dégage de ces jardins témoigne de l'ancrage de la noblesse du Rouergat dans l'univers des lettres de la Renaissance.
Le Jardin des chambres formé de cloisons de charmilles offre des pièces de vie à ciel ouvert propices à la méditation.
Xavier Berrou nous donne une multitude d'informations sur le choix des plantes et des traités botaniques à partir desquels il a travaillé.
Le nouveau jardinier paysagiste nous explique que le choix des plantes est inspiré du traité de botanique d'Anne de Bretagne 1503 - 1508. Une centaine de plantes ont été retenues parmi les quelques 250 plantes de cet ouvrage.
La pergola lie l'ancien temps (Terre au centre de l'univers) et le nouveau temps (Soleil, héliocentrisme).
Jasmins blancs et rosiers anciens recouvrent les tonnelles. Rosiers moschata 'Umbrella' : Ce rosier laisse à penser qu'il s'agit vraiment du type botanique de Rosa Moschata où rosier musqué d'origine.
Les fouilles archéologiques ayant corroboré les études géométriques, tout amène à penser que le jardin recrée à Bournazel est très proche de celui où vécurent Charlotte Mancip et son époux Jean de Buisson dans les années 1560. C'est le seul jardin Renaissance a avoir bénéficié d'études de plan aussi précises, ce qui lui a valu d'être classé "Jardin Remarquable' avant son ouverture en juin 2016...
Proche du Rouergue, le Quercy offre également un magnifique château Renaissance, le Château de Montal à découvrir également sur ce blog... On y retrouve cette Renaissance française des Châteaux de Chenonceau, Azay-le-Rideau et Chambord mais surtout cet esprit de raffinement, de civilité et de culture chevaleresque de cette jeune noblesse des terres reculées du Quercy et du Rouergue.